Le vertueuse virtuosité de peindre

Ce que vous voyez sont des peintures. Approchez votre oeil! Regardez de plus près encore! Cherchez le coup de pinceau, vous ne le trouverez pas. Bienvenue dans le monde plus vrai que nature de Lorenzo Fernández.

Sur une étagére en bois, composée de trois principaux compartiments verticaus correspondant chacun á une couleur du drapeau français peint en fond, sont posés quelques objets démodés, eux aussi parfaitement bien peints. Oui, eux aussi parfaitement bien peints. La petite hélice située en haut á droite, la lettre “g” d’imprimerie sur laquelle repose la miniature d’un vieil avion français, et même la photographie sépia découpée d’un agent pointant son arme droit devant lui, ont été réalisées au princeau fin sur un panneau de bois, sans esquisse préparatoire, sans l’aide de la photographie. Difficile á croire, n’est-ce  pas?

L’ART D’ÊTRE PRÉCIS

Ce tableau avoisinant les deux mètres est l’oevre de l’oeil photographique et de la main prodigieuse du peintre Lorenzo Fernández. Ce jeune artiste madrilène incarne un Parrhasios des temps modernes, dupant n’importe quel Zeuxis soucieux de rivaliser avec la réalité. La précision est si minutieuse, qu’elle en devient suspicieuse. La touche est lisse et léchée, imperceptible, ne laissant nullement suggérer le passage de l’outil, ni même le dépôt subtil de l’huile et de l’acrylique. Au plus près du tableau, il est possible de distinguer des détails aussi infimes que la règularité du grain de peau, la fine couture d’un habit ou la texture granulée d’un papier. La prouesse est d’autant plus stupèfiante qu’elle a été réalisée sur du bois, matériau aux aspérités revêches, révélant au combien la phase préparatoire fut tout aussi consciencieuse pour parvenir à ce rendu.

LA PHILOSOPHIE PEINTE

Face a aux tableaux de Lorenzo Fernández, commment ne pas prende  conscience des heures de travail  nécessaires à l’accomplissiment d’un tel exploit? Le résultat n’est pas seulement le fruit d’un incontestable talent dans l’art de peindre, il est également, et peut-être une personne mesurée, réfléchie, persévérante, patiente, délicate et d’autres habilités ayant la particularité de ne pas être innées, mais de se conquérir.

Ces facultés sont de l’ordre de la vertu, au sens philosophique du terme, notion doublement manifeste chez Lorenzo Fernández: en tant qu’aspiration à être et en tant qu’aspiration á peindre. L’une est présente, l’autre est représentée. les objets figurant dans ces toiles incarnent des allégories de la vertu, au nombre de quatre selon Platon dans La République, á savoir la Prudence, le Courage, la Tempérance et la Justice.

LE LEURRE DU PASSÉ

Dans un univers silencieux, où tout immobile et figé, les quelques breloques, ustensiles et outils semblent avoir appartenu á un autre temps et suscitent le questionnement. Existe t-il un lien les unissant? Lequel et pourquoi? Les traces du temps altèrent leur superbe d’autrefois, venant piqueter de rouille les métaux et jaunir les photos. La nostalgie se réveille, inonde de son spleen l’atmosphère monacale, finissant d’achever la conclusion du «c’était mieux avant», le plus vieux copain vicieux de la mélancolie.

Et pourtant, interpréter la peinture de Lorenzo Fernández ainsi est certainement une belle erreur. Bien au contraire, l’artiste semble jouer de la réalité, de notre réalité en la rivalisant. Toute représentation n’est-elle pas mesongère? Ces objets auxquels il est facile de prêter une légitimité honorable, vertueuse, car associés au passé, ne sont-ils pas que des luerres? La véritable vertu n’est-elle pas plutôt d’avoir conscience de cette duperie en faisant preuve de réflexion et de prudence?

Cette observation trouve un écho aux obsessions de notre société aveuglée par la volonté de regarder en arrière, de retrouver l’illusoire «bonne morale» de nos grands-parents, de reconstruire au lieu de construire, au pont d’en oublier de se projeter plutôt vers l’avant.

Cette vision ci-exposée este absolutement personnelle, interprétée de manière subjective, quoiqu’objetive de on point de vue. Il appartient à chacun de faire mûrir sa pensée, de prende le temps de la façonner, d’éveiller son esprit critique ou de plus simplement se laisser émerveiller par la virtuosité de Lorenzo Fernández

«Anne-Laure Peressin»

Galeries & Musées. n. 79 (novembre / décembre 2016)